Redonner une voix politique aux soignants : entretien avec Alexis Bataille-Hembert, entre terrain, santé et influence.
Dans un secteur aussi politique que la santé, il est paradoxal de constater à quel point les premiers concernés – les professionnels de santé – sont tenus à l’écart des débats publics. Alexis Bataille-Hembert, infirmier, ancien militaire, conseiller ministériel et consultant en affaires publiques, travaille justement à inverser cette logique.
Nous avons échangé avec lui dans le cadre du podcast Hémicycle, pour comprendre comment il relie terrain, institutions et plaidoyer, et pourquoi il milite pour une acculturation des soignants aux affaires publiques.
C’est en tant que soignant et observateur du système qu’Alexis est nommé pour co-piloter une mission ministérielle sur la santé des soignants. Objectif : dresser un état des lieux complet, et formuler des recommandations concrètes.
" Les professionnels de santé sont les bras armés des politiques publiques… qu’ils ne comprennent pas toujours."
Ce rapport, remis en 2023, s’appuie sur une consultation nationale de 50 000 professionnels de santé. Mais il ne s’est pas arrêté à ce texte : aujourd’hui, un comité de suivi ministériel structure la suite des travaux.
Puis, à l’automne 2024, il rejoint le cabinet du ministre des Solidarités, cette fois comme conseiller politique. Une fonction plus stratégique, mais aussi plus fragile : le rythme politique impose de défendre ses idées vite, fort, et sans garantie de durée.
Ce qui distingue Alexis, c’est sa volonté de partir du terrain pour remonter jusqu’au pouvoir politique. Pour lui, le bon lobbying, c’est d’abord une forme d’écoute structurée.
Le rapport qu’il a coécrit s’est nourri d’initiatives locales, de pratiques venues du Service de santé des armées, mais aussi de rencontres avec des centaines d’acteurs : ordres, fédérations, startups, syndicats, entreprises, institutions.
Mais Alexis alerte aussi sur les limites du jeu d’influence : la relation avec les cabinets d’affaires publiques est parfois décevante.
« Certaines notes étaient simplement générées par IA. Pour 5 000 euros le livrable, on est en droit d’attendre mieux. »
Si Alexis ne devait faire passer qu’une seule réforme, ce serait celle-ci : introduire un vrai module de formation aux institutions, à la décision publique et aux affaires publiques dans les cursus de santé.
Car selon lui, trop peu de soignants comprennent comment fonctionne l’écosystème qui encadre leurs pratiques.
Résultat : ils se sentent exclus du débat… et laissent le terrain libre à d’autres acteurs plus rôdés à l’influence.
Pourtant, les professionnels de santé ont une voix légitime. Encore faut-il les former à s’en servir.
« On peut être agent hospitalier et avoir de meilleures idées qu’un professeur d’université. »
Dans ses engagements, Alexis défend une vision du lobbying fondée sur la légitimité, la rigueur et l’utilité. Le rôle d’un bon consultant, dit-il, n’est pas d’obtenir une photo avec un ministre, mais de construire une stratégie d’alliance, une temporalité d’action, un lien durable avec l’administration.
Il plaide aussi pour une meilleure reconnaissance du lobbying citoyen et associatif, dans un secteur dominé historiquement par l’industrie pharmaceutique.
Cet échange avec Alexis Bataille-Hembert rappelle une vérité essentielle : dans un secteur aussi sensible que la santé, la décision publique ne peut pas se limiter à des arbitrages techniques ou budgétaires.
Elle doit s’ancrer dans l’expérience de celles et ceux qui soignent, agissent, accompagnent.
Et pour cela, il faut leur donner les moyens de comprendre, d’influencer, de participer.
Qu’il s’agisse d’un rapport ministériel, d’un ouvrage collectif, ou d’une formation en école de santé, ce travail de transmission politique est peut-être l’enjeu le plus urgent pour faire évoluer durablement notre système.
