Kevin Gernier (Transparency International France) : comprendre les frontières entre plaidoyer légitime et influence toxique
Kevin Gernier analyse les limites du lobbying, ses dérives et les réformes nécessaires pour une démocratie plus transparente.
Juliette Lenglart raconte son parcours et ses combats dans la mobilité douce.

💬 « Il faut arrêter de voir l’engagement par le prisme du politique. L’engagement, c’est aussi donner du temps à une association. »
Dans cet épisode d’Hémicycle, je reçois Juliette Lenglart, chargée de l’Alliance des mobilités et de la micromobilité chez Mobilians, et cofondatrice de Démocratia, une initiative née pour reconnecter les jeunes à la vie démocratique.
Juliette incarne une génération qui ne veut plus choisir entre convictions personnelles et action concrète : s’engager, oui — mais sous toutes ses formes. Donner du temps à une asso, vulgariser un programme électoral, défendre une filière en construction, porter une position collective face aux institutions… Tout ça, c’est de l’engagement.
La phrase qui donne le ton de l’épisode est simple, et pourtant elle remet beaucoup de choses à l’endroit : arrêtons de réduire l’engagement à l’adhésion partisane.
Juliette insiste : on peut être profondément engagé sans « prendre sa carte ». L’engagement, c’est aussi :
C’est une vision apaisante, presque libératrice : la démocratie ne se résume pas aux urnes, et la citoyenneté ne commence pas à 18 ans avec une carte d’électeur.
Juliette raconte un parcours assez classique sur le papier — prépa, Sciences Po Bordeaux, master en affaires publiques — mais très révélateur d’un point clé : la spécialisation.
Elle se forme et se teste, passe par des expériences à la SNCF et à la RATP, tâtonne, ajuste, et finit par s’ancrer sur un domaine qui la passionne : les mobilités.
Et elle le dit sans détour : être spécialisée, ça l’a aidée à trouver vite, à être crédible plus tôt, à entrer dans des conversations exigeantes. Moralité : en affaires publiques, la curiosité est vitale, mais un “territoire” d’expertise change tout.
Démocratia, c’est l’autre versant de son engagement : le côté associatif, collectif, pédagogique.
Le principe était ultra concret : prendre les grandes thématiques d’une présidentielle, analyser les programmes, produire des fiches claires, accessibles, partageables sur Instagram. Pas pour dire aux jeunes quoi penser, mais pour leur donner les clés.
L’intuition est forte : les jeunes ne sont pas “désintéressés”. Ils sont souvent déjà engagés (climat, droits humains, égalité, LGBT, droits des femmes…) — mais ils se sentent exclus d’un langage politique qui ne s’adresse plus à eux. Et quand on ne parle pas à quelqu’un, on ne peut pas lui reprocher de ne pas répondre.
La partie la plus “Hémicycle” de l’épisode, c’est quand Juliette explique son travail chez Mobilians.
Elle rappelle une réalité souvent mal comprise : une fédération (ou syndicat patronal), ce n’est pas seulement un logo et des communiqués. C’est :
Et surtout, une fédération apporte ce que beaucoup d’entreprises n’ont pas seules : la force du collectif. Dire « nous » au lieu de « je ». Dire « derrière moi, il y a 15 entreprises / 1500 professionnels ». Ça change le poids d’un message, et ça change la manière dont il est reçu.
Juliette décrit un point passionnant : la position se construit à l’unanimité. Ce n’est pas “celui qui paye le plus” qui décide. Si un adhérent n’est pas d’accord, on réécrit, on reformule… parfois on retire.
C’est long, parfois ingrat, mais c’est précisément ce qui rend la démarche défendable : la fédération ne porte pas une lubie, elle porte un équilibre collectif.
Sur la micromobilité, Juliette est très claire : la bataille se joue autant dans l’opinion que dans la réglementation.
Elle cite le réflexe médiatique : “trottinette = danger”, “mode”, “nuisance”. Et explique que ce cadrage simpliste masque un usage réel : intermodalité, trajets domicile-travail, alternative au tout-voiture, complément du RER, etc.
Le travail d’affaires publiques consiste alors à faire deux choses en parallèle :
Et au passage, elle dit quelque chose de très vrai : beaucoup de lobbying se fait loin des dorures, dans des endroits moins “glamour” — auprès des administrations, des directions générales, des équipes qui fabriquent la norme concrète.
Quand on parle abstention, Juliette propose une ligne intéressante : ne pas voter, ce n’est pas toujours de l’indifférence. Ça peut être un signal politique, un symptôme, une rupture de confiance.
Pour autant, elle plaide pour des leviers “naturels” plutôt que coercitifs :
C’est une idée simple : quand on voit l’impact concret des décisions publiques sur sa vie, on a davantage envie de peser.
Juliette donne des conseils très actionnables, qui sonnent juste parce qu’ils sont vécus :
C’est le portrait d’un métier où l’on avance à la fois par méthode… et par vigilance.
On termine sur un angle important : Juliette ne dit pas que le secteur est fermé aux femmes. Elle dit quelque chose de plus subtil (et plus utile) : la prise de parole publique est encore plus coûteuse pour les femmes.
Le sujet n’est pas seulement “combien elles sont”, mais “à quel point elles se sentent légitimes de venir dire : ce que j’ai à raconter compte”. Et elle le dit clairement : il faut les encourager. Les inviter. Les mettre au micro.
Cet épisode fait du bien parce qu’il réconcilie deux mondes qu’on oppose trop souvent :
Avec Juliette, on comprend que les deux peuvent se nourrir : l’un donne du sens, l’autre donne de l’impact. Et au milieu, il y a une boussole : rester utile.